FRENCH L’inanité actuelle des partis politiques

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ALORS QUE RIVAROL célèbre ses soixante-dix ans, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur l’actuelle inutilité des partis politiques, l’hebdomadaire de l’opposition nationale et européenne n’ayant jamais été particulièrement démocrate.

Pour l’historien, le politologue, ou seulement tout esprit curieux et sagace, nous vivons une époque passionnante, lors même qu’elle n’a rien de drôle, à moins dire. La crise générale provoquée par la pandémie coronovirale (ou dont elle est le prétexte ou le paravent) remet en question notre mode de vie et de travail, le fonctionnement de notre société et de notre économie, nos habitudes de pensée, et notre vie politique.

UN BOULEVERSEMENT GÉNÉRATEUR D’UN FATALISME QUASI UNANIME

C’est tout notre modèle de société et d’organisation politique qui a été chamboulé depuis un an. Nos institutions républicaines, dont nos dirigeants exaltent à tout propos la
grandeur, ont reçu un sacré coup, et il n’est pas certain qu’elles puissent surmonter un pareil choc. Le cours normal de notre vie politique est suspendu depuis la mi-mars 2020, et nos compatriotes sont complètement déboussolés, ne sachant plus à quel saint se vouer, et se laissant mener, bon gré mal gré, par le pouvoir en place, qu’ils supportent mal, mais dont ils s’accommodent, parce qu’ils pensent que ses adversaires ne feraient pas mieux que lui, et que les mesures qui leur sont imposées procèdent, au moins en apparence, des lois de la nécessité et semblent donc exclure a priori toute alternative.

Le fatalisme est devenu le trait de caractère dominant de notre peuple, pourtant réputé frondeur et ingouvernable.

Un fatalisme empreint de lassitude et de déréliction, qui, parfois, fermente et vire à l’aigreur. À l’aigreur, mais non à la révolte, sinon de manière sourde, latente, et quelque peu honteuse : on n’ose plus se révolter, de peur de paraître primaire, attardé, déraisonnable, sot, ou incivique. L’heure est à la soumission, au règne des contraintes « plutôt bien acceptées », comme nous le serinent les animateurs du journal télévisé.

Nous vivons à l’heure du consensus. D’aucuns pourraient s’en réjouir. N’a-t-on pas déploré, durant près de deux siècles, notre propension diaboliquement innée à la division, aux querelles permanentes, à la contestation systématique de tout pouvoir et de toute autorité politique, spirituelle, morale, à l’indiscipline, à la rébellion, qui rendait impossible  l’indispensable union de tous face aux grands problèmes de l’heure et à la préparation de l’avenir ?

Aujourd’hui, beaucoup de nos compatriotes semblent à peu près d’accord avec les décisions les plus contraignantes prises par nos gouvernants, certes à des degrés divers : certains adhèrent tout à fait à la justification présentée par nos dirigeants à l’appui de ces mesures, d’autres se résignent à celles-ci le cœur lourd, mais en les jugeant indispensables ;  l’unanimité ne va pas sans accrocs ou fausses notes, mais elle semble exister, de manière relative.

Seulement voilà, il s’agit d’une unanimité dans le désespoir, dans le sentiment du malheur et de l’impuissance, dans celui de la fatalité, dans la résignation, dans l’idée que tout va mal et que tout ce que nous pouvons nous proposer, c’est de faire en sorte que la situation n’empire pas, et qu’il est vain de chercher une alternative au pouvoir actuel en vue d’un avenir meilleur. Cette unanimité est celle d’individus et de groupes épars qui n’ont en commun que la mélancolie (la “morosité”, pour reprendre un mot cher à nos journalistes), la détresse, le sentiment d’un monde in essentia mauvais et d’une réalité opprimante. Elle n’a rien de commun avec l’union nationale de tout un peuple en un effort collectif accompli dans la ferveur
au nom d’une cause sacrée, et pour un grand destin commun, avec en ligne de mire, la perspective d’un avenir meilleur.

DES PARTIS POLITIQUES DISCRÉDITÉS, AYANT PERDU TOUTE RAISON D’ÊTRE

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’étonner de la désaffection des Français à l’égard de la vie politique, de leur désintérêt pour la chose publique, manifesté par des records d’abstention (près de 60 % au second tour des municipales de juin 2020), de leur indifférence vis-à-vis de nos ins titutions et des partis politiques, dont ils semblent avoir oublié jusqu’à l’existence.

Cette situation a précédé la crise sanitaire. Souvenons-nous des derniers grands scrutins antérieurs à 2020. Le nombre d’abstentions s’était élevé, au premier tour de la présidentielle de 2017, à 22,23 % des électeurs inscrits, à 25,44 % au second tour ; puis, lors des législatives qui avaient suivi, la même année, il avait représenté 51,3 % des inscrits au premier tour, 57,36 % au second tour. Les partis politiques traditionnels sont totalement discrédités. Le PS a été laminé lors des lé gislatives de juin 2017, et il ne se relèvera probablement jamais.

Les Républicains se sont révélés incapables de l’emporter aux élections présidentielle et législatives de 2017, et ils ont perdu tout crédit, en rai son de leur incapacité à affirmer leur différence face à LREM, qui les a concurrencés victorieusement en 2017, et à présenter face au pouvoir macronien, une alternative claire et convaincante. Le Rassemblement national et la France insoumise restent des formations protestataires dénuées de crédibilité et qui ne suscitent même plus aujourd’hui l’enthousiasme de jeunes en quête de militantisme et d’idéal.

Le PCF a quasiment disparu : aux européennes de 2019, il a subi le ridicule, avec 2,49 % des suffrages exprimés, de se voir talonné par le groupusculaire parti animaliste (2,16 %).

Grand vainqueur des élections présidentielle et législatives de 2017, avec le prestige du jeune et sémillant Macron et les salutations impératoriennes, LREM a de grandes chances (si l’on peut dire) de voir sa majorité parlementaire absolue devenir toute relative en 2022. Quant aux  écologistes, qui ont tiré profit des municipales de 2020 et ont conquis des villes
importantes (en plus de Grenoble, gagnée dès 2014, Lyon, Strasbourg, Tours, Poitiers, Bordeaux, et, pour un temps seulement, Marseille), ils souffrent de leurs limites congénitales, pourrait-on dire. En premier lieu, ils ne sont guère crédibles en dehors des questions environnementales (et encore !)

L’importance croissante de ces dernières explique en grande partie leur progression. Mais, dans les domaines économique, social, administratif, diplomatique et autres, ils sont généralement perçus comme plutôt incompétents. Du reste, ils doivent une bonne part de leur succès actuel à la désaffection qui frappe leurs concurrents sur la scène politique. Et
il convient, encore une fois, à ce propos, de ne pas oublier les taux effarants d’abstention aux divers scrutins, qui réduisent encore leur importance réelle, ainsi que celle de tous les partis.

Ces derniers semblent avoir perdu toute raison d’exister. Les électeurs leur dénient toute capacité réelle à résoudre les grands problèmes de l’heure, n’attendent plus rien d’eux et ne croient plus en les idées et projets de société qu’ils défendent. Pour autant qu’ils aient encore des idées et des projets de société. Ceux-ci sont morts depuis longtemps, avec les grands
idéaux qui les animaient, étayés sur des références intellectuelles propres à fonder leur crédibilité. Car, tous, ils se sont fracassés contre le réel. À tel point que plus personne, dans le microcosme politique, ne songe à se réclamer d’eux. Voit-on le parti socialiste défendre explicitement un projet de société socialiste ou un programme de gouvernement socialiste ? Il
ne le fait plus depuis le milieu des années 1980 (après la phase partisane de la période 1981-1984). Le ferait-il qu’il susciterait de beaux éclats de rire. Un de ses caciques, Manuel Valls, tirant la conclu sion de cette évolution, alla jusqu’à suggérer de changer le nom du parti en lui ôtant l’épithète de socialiste.

L’IMPUISSANCE FACE À UN MONDE MERCANTILE IMPOSSIBLE À MAÎTRISER

La mort des idéaux, projets et autres utopies politiques (de droite comme de gauche) découle logiquement de la mutation accomplie par notre monde depuis le dernier quart du siècle précédent.. Celle-ci ne laisse plus place à aucune alternative politique ou sociale. Nous vivons au sein de l’ordre spontané, de nature économique et catallactique, selon Hayek, étendu désormais au monde entier, et dont on peut connaître les lois, mais qu’il est impossible de maîtriser ou même d’infléchir quelque peu, ce qui condamne donc à l’échec toute
tentative politique visant à le modifier ou à l’orienter, au moins quant à certains de ses effets, dans une direction jugée souhaitable eu égard à des considérations (relevant de
l’exigence de justice sociale ou du sentiment national, par exemple) étrangères à sa propre logique de fonctionnement.

Le monde actuel, sur toute la planète, est mercantile et libéral, point barre. Il consiste en un vaste marché que personne ne peut  juguler, et ce à tel point que nul ne songe plus sérieusement à tenter de le faire, en vérité. Or, la raison d’être fondamentale d’un parti politique est de proposer, pour l’avenir, un projet de société porteur d’une  alternative crédible (du moins jugée telle par une fraction importante de la population) à la réalité présente, et capable de résoudre les problèmes du moment, concrètement vécus par les électeurs. Las !

Ces derniers savent très bien que les hommes (et femmes) politiques actuels sont incapables d’une telle prouesse et qu’ils ne se soucient — outre leur carrière — que de gérer au mieux (ou le moins mal possible) l’ordre existant. D’où la résignation ambiante, interrompue quelquefois par des accès de colère de la base populaire (les Gilets jaunes en France, les divers mouvements trumpistes aux Etats-Unis), sans chefs, ni organisation, ni projet, ni programme, ni idéal, ni vision d’ensemble intelligente des problèmes, ni même porteurs de revendications précises, et mues uniquement par des refus empreints de fureur.

UNE REMISE EN QUESTION GLOBALE DE NOTRE MODÈLE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

En vérité, le mérite de notre triste époque est de nous révéler l’obsolescence, et même la vanité foncière de notre système politique actuel. Celui-ci est bel et bien remis en question, de la même façon que la crise sanitaire coronovirale a conduit à la remise en question de notre système économique mercantile, tant en raison de ses responsabilités criantes dans la déclenchement de la pandémie qu’au niveau des politiques déployées pour enrayer cette dernière, et qui sont allés contre la logique économique dominante. Il n’est cependant pas avéré, loin de là, que nous ayons clairement comprisl’ampleur du changement que nous devons opérer pour retrouver un mode de vie et un état d’esprit susceptibles de conjurer le péril
présent et ceux qui nous menacent à terme.

Paul-André DELORME.

 

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